Faits divers

Une sorcière à la Basilique Saint-Denis

« Au Moyen Âge on brûlait vifs sorciers et sorcières ; plus tard on les laissa tranquillement exercer leur métier, et si l’on en incarcérait quelques uns de temps à autre, ce n’était guère que par passe-temps joyeux de maréchaussée en disette de gibier de potence. Aujourd’hui le gouvernement fait appel aux lumières des sorcières et leur confie des missions officielles »

Journal : La France (Paris)

25 septembre 1882

Marius Vachon

La basilique Saint-Denis

Construite sur l’emplacement d’un cimetière, lieu de sépulture de saint Denis, évêque missionnaire, martyrisé vers 250, la basilique est devenue une nécropole royale dès les origines de la royauté française jusqu’à Louis XVIII.

L’abbé Suger  apporte de profondes modifications architecturales au XIIe siècle, dont le massif occidental et le chevet, faisant de ce chef-d’œuvre architectural une œuvre majeure de l’art gothique. Elle est achevée au XIIIe siècle sous le règne de Saint Louis.

La révolution

La profanation des tombes royales de la basilique Saint-Denis est un épisode de la Révolution française au cours duquel les tombeaux de la nécropole royale  ont été démontés ou détruits  d’août 1793 à janvier 1794.

Peinture à l’huile – Hubert Robert – Musée Carnavalet
La violation des caveaux des rois dans la basilique de Saint-Denis en octobre 1793

Dom Germain Poirier, savant bénédictin , adjoint à la Commission conservatrice des Monuments et archiviste à l’abbaye Saint-Denis, est nommé commissaire chargé d’assister à l’exhumation. Il a été le principal témoin oculaire de l’exhumation des corps et des organes et de la profanation des tombeaux royaux.

La protection des monuments historiques

En 1837, à la suite de la demande de Prosper Mérimée, alors inspecteur général des monuments historiques, les préfets reçoivent une circulaire leur demandant de dresser la liste des monuments de leur département dont ils estiment la restauration prioritaire, en les classant par ordre d’importance.

La Commission des monuments historiques est chargée ensuite de classer l’ensemble des listes : en 1840, cette demande aboutit une liste d’un millier de monuments « pour lesquels des secours ont été demandés » et nécessitent des travaux pour être conservés. Il s’agit de la première liste d’un tel genre en France.

La basilique Saint-Denis devenue église paroissiale après la révolution a été classée parmi les monuments en 1862. Elle est devenue cathédrale en 1966.

Basilique Saint Denis au XIXème siècle
Base Mémoire Réf AP57N00340

La sorcière Cailhava

Françoise Joséphine Émilie Cailhava, sans profession, demeure 38 rue des abbesses à Paris.

Elle appartient à une excellente famille et est douée d’une intelligence très vive et d’un jugement très lucide.

En 1882, cette femme de soixante-dix ans, prétend avoir un moyen sûr de découvrir les mines d’or, d’argent ou les trésors enfouis,  à l’aide d’une mystérieuse baguette divinatoire, dans laquelle elle avait une foi absolue. Elle mesure 25cm et pèse 20g.

En date du 9 juillet 1879, elle adresse au ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts une demande de faire une fouille dans les caveaux de la basilique de Saint Denis pour retrouver la caisse de métaux précieux qui y avait été enterrée à la révolution.

Après deux lettres de rappel, le 25 juin 1881 elle obtient une réponse positive du ministère.

Un traité avec Mme Françoise Cailhava a été signé  le 21 janvier 1882  par M. Léon Demachy, directeur des domaines du département  de la Seine.

Dans le traité, il est exigé le versement d’une caution de 200 francs. La pauvre femme qui ne vit qu’avec un franc par jour n’a pu trouver ce cautionnement qu’au bout de quelques mois.

Les fouilles commencent le 20 septembre 1882 par le creusement d’une tranchée près des caveaux des tombes royales. Mme Cailhava guide elle-même les travaux munie de sa baguette en bois qui se penche vers l’endroit où se trouve de l’or ou de l’argent.

Après deux jours de travail, le sol naturel est atteint à 1m50 de profondeur, et rien n’est trouvé.

Les travaux sont interrompus à la demande du primicier (celui qui avait la première dignité, le premier rang, dans le chapitre), bien que le traité prévoit une durée de trois  mois pour réaliser les fouilles.

La presse s’empare du fait étrange que le gouvernement ait patronné officiellement l’entreprise d’une sorcière, en 1882! Cette cocasserie a fait rire tout Paris, mais aussi toute la France pendant des années.

Moniteur des arts 10 novembre 1882

« Nous sommes à une époque qu’on accuse volontiers d’être celle du scepticisme : on croit facilement tout ce qui est fanatisme, passion, enthousiasme, on n’écoute plus les prêtres, la libre pensée fait chaque jour des progrès ; on blague les naïfs et les superstitieux et l’on a raison »

« Le Petit troyen » Journal démocratique régional
Chronique du lundi 18 décembre 1882 –  2ème  année n°400

Mme Cailhava intente un procès au préfet de la Seine, mais un article du traité stipulait la faculté du ministère de suspendre les fouilles quand bon lui semblerait.

La pauvre dame en meurt de dépit le 7 octobre 1884 à l’âge de 73 ans.

Acte de décès de Françoise Joséphine Émilie Cailhava Archives de Paris – Cote V4E 7671 

« Lan mil huit cent quatre vingt quatre le sept octobre à quatre heures du soir acte de décès de Françoise Joséphine Émilie Cailhava âgée de soixante-douze ans, sans profession, née à Paris, décédée hier soir à six heures en son domicile, rue du Mont-Cenis 81, filiation de nous inconnue, célibataire Dressé par nous Léon Alix Lanquet adjoint au maire officier de l’état civil au 18e arrondissement de Paris sur la déclaration de Damien Bodet, âgé de soixante-six ans, mécanicien, demeurant rue Menessier 2, et de Jean Clové, trente-trois ans, charrier, demeurant rue de Bretagne 52, qui ont signé avec nous après lecture »

Ses héritiers ont réclamé devant la première chambre du tribunal civil de la Seine le droit de continuer les fouilles ou sinon la condamnation de l’Etat à leur payer la modeste somme de 500000 francs à titre de dommages et intérêts. Sur les conclusions du substitut, les héritiers ont vu leurs demandes rejetées.

Le contrôle de l’État sur la conservation des monuments historiques

La loi du 30 mars 1887 pour la conservation des monuments et objets d’art ayant un intérêt historique et artistique et met en place l’autorisation ministérielle pour les travaux de réparation, restauration ou modification.

Les différentes fouilles archéologiques sont réalisées également sous le contrôle de l’État.

Les archéologues travaillent en 2023 à l’intérieur et à l’extérieur de la basilique.

Ils exhument une occupation funéraire très dense, dès la fin du Ve siècle avec des vestiges mérovingiens et carolingiens, pour certains antérieurs à la construction de l’édifice. Les inhumations perdurent jusqu’à la fin de l’époque médiévale.

Presse consultée

Retronews

1882_09_25_La France (Paris)

1882_10_01_La Lanterne 1877-1928

1882_11_10_Moniteur des arts

1882_12_18_Le Petit Troyen

1884_10_09_La Croix

1889_01_12_L_Univers illustré

Gallica

1882_12_13_Figaro : journal non politique

1882_12_7_Journal officiel de la République Française. Débats parlementaires

1882_12_14_Le Pays : journal des volontés de la France

1882_12_14_L’Univers

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